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Avignon : « Pur Présent », tragédie brutale d’Olivier Py

par Jacques Moulins
"Pur Présent" mis en scène par Olivier Py, avec Nazim Boudjenah, Dali Benssalah, Joseph Fourez, et Guilhem Fabre (piano). © Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 20/07/2018
Pour sa dernière création "Pur présent", présentée au festival d'Avignon, Olivier Py va chercher dans l'oeuvre d'Eschyle une forme théâtrale susceptible de mettre en scène brutalement les questions politiques, économiques et sociales qui se posent à notre société. Une trilogie ambitieuse dans la veine du travail du directeur du festival.

Imaginez-vous faire un constat de la société dans laquelle nous vivons, poser les questions que ses dysfonctionnements imposent et chercher des réponses en trois heures seulement, sur un espace pas plus grand qu’une scène de théâtre de 6 mètres sur 6 ? Non ? Il est vrai que dénoncer l’ultralibéralisme qui avilit la dignité humaine et l’intégrité de notre planète est si étayé à longueur d’informations que quelques phrases suffisent. Et poser la question, quasi léniniste, de « Que faire ? » ne trouvera bien évidemment sa réponse ni dans un livre, ni sur un plateau de théâtre. Olivier Py pêche-t-il alors par trop d’ambition avec sa trilogie Pur présent qu’il crée au festival d’Avignon ? En adaptant pour la scène, l’an dernier dans ce même festival, son roman Les Parisiens, qui démontait le cénacle culturel de la capitale, le directeur du festival d’Avignon s’était attiré les foudres de ceux et celles qui ne voulurent y voir qu’une œuvre circonstancielle prétexte à un règlement de compte. Pur présent poursuit cette écriture sur le monde d’aujourd’hui et peut donc prêter à une lecture conjoncturelle, faisant plus référence au débat entre partis politiques français qu’à une tragédie.

Examinons la question sous un autre angle. Nous sommes au théâtre, pas à l’Assemblée, ni à la télé. Comment porter au théâtre cette question du devenir de notre condition humaine et de son environnement, question qui occupe tant nos esprits et jamais ne trouve réponse assez satisfaisante pour avoir convaincu la société entière de la mettre en œuvre ?

 

Le texte est bien sûr essentiel. Choisir comme matériau des phrases conçues pour le débat politique, expliquer la crise économique par la machination financière, emprunter au lexique sociologique l’analyse des ghettos urbains, vouer à la condamnation révolutionnaire les libéraux, appeler à l’insurrection résolument destructrice de toute forme sociale pose une contradiction bien connue à l’écrivain. Cela a l’avantage de plonger le spectateur dans une réalité qu’il reconnaît pour entendre les mots à longueur de journée, cela a l’inconvénient de n’offrir aucune créativité là où pourtant on l’attend. Or les trois pièces qui composent la trilogie, La Prison, l’Argent, le Masque, sont faites de ces matériaux usés mais pour le moment indépassés. Olivier Py est-il pour autant obligé de s’en servir ? C’est toute la question du théâtre qui se trouve à nouveau posée. Rappelant ces origines : dans l’antiquité grecque, lors des joutes théâtrales, le peuple athénien a consolidé la démocratie face aux lois tribales.

 

La référence à Eschyle. Revenons donc aux sources puisque l’auteur nous y invite. La référence à Eschyle, qu’Olivier Py dit avoir longuement étudié et traduit, est permanente. Chez Eschyle, la forme trilogique, sans doute de son invention, prédomine. Elle répond à la dialectique, thèse et antithèse s’affrontent dans les deux premières parties et la troisième offre une synthèse. Chez Eschyle thèse et antithèse sont le lieu de l’opposition entre la culture tribale archaïque et la culture moderne démocratique, l’antithèse présentant une réponse « civique » à cette lutte qui ravage alors la Grèce entière. Dans la première pièce, La Prison, un caïd carcéral s’oppose à un jeune aumônier, par ailleurs fils de banquier et pétri de culpabilité. Inspirée du travail qu’Olivier Py effectue depuis des années avec les détenus de la prison du Pontet (et dont il a présenté le résultat cette année à Avignon avec Antigone), cette partie se passe en milieu carcéral où les plus révoltés des habitants des ghettos se construisent une dignité sur le refus du système et l’exacerbation du plus fort (le caïd est prénommé « le roi »). La lutte de pouvoir entre « le saint » et « le roi », tous deux appréciés des détenus mais pour des raisons opposées, aboutit à leur destruction commune.

L’Argent, seconde pièce, retrouve le père banquier qui tient dans ses mains l’ordre économique et son fils, frère de l’aumônier. Alors que la première pièce interrogeait les réponses extrême, mais sociales, du banditisme et de la sainteté, la seconde oppose les solutions individuelles de l’arrivisme du banquier et du parricide tenté par le fils. Dans la troisième pièce, « qui dénoue le cycle » prévient Olivier Py, le secrétaire du banquier s’est couvert le visage d’un masque noir qu’il a fait vœu de ne plus retirer après le suicide du fils. Il est pris, malgré lui, comme égérie des émeutes désespérées qui secouent la ville, à la recherche d’une solution politique. « Mais comment faire un acte signifiant, alors que les véritables puissances sont hors d’atteinte, voire remplacées par des algorithmes ? » demande l’auteur. Là est la tragédie. Le Masque dénoue le cycle, mais ne dépasse pas l’antagonisme des deux premières pièces.

 

Tragédie contemporaine. Comme chez Eschyle la psychologie du personnage n’est pas un ressort de la pièce, le personnage incarne plus une tendance de la société qu’une personnalité. Comme chez Eschyle encore, la composition est pour deux personnages, le troisième ne jouant qu’un rôle secondaire de faire valoir du processus et ne dialoguant quasiment jamais avec les deux principaux, voire servant de chœur. Comme Eschyle enfin, l’auteur en appelle aux dieux dans cette phase où le système économique produit encore des avancées alors que le système politique qui le sous-tend s’effondre. Mais cet appel est douloureux, le Dieu de l’aumônier se révélant incompétent, la spiritualité jaillit dans la poésie des phrases comme un air lyrique impossible à saisir. La violence elle, est en revanche partout présente, décor de notre société contemporaine, celle du caïd, celles des prisonniers, celle du banquier, celle du fils parricide, celle de l’émeutier. Ce désordre, entre spiritualité et violence, provoque « une contamination d’exigence spirituelle qui pousse les personnages à des actes démesurés ». Dès lors la tragédie se refuse à donner du sens, à mettre en ordre les faits, à proposer une solution, elle ne peut que « nous donner une nostalgie de la vérité ».

 

Résultat ? Ces questions du politique sont partout présentes sur les scènes du festival. Thomas Jolly, David Bobée, Phia Ménard, Anne-Cécile Vandalem… Tous et toutes ont à cœur d’affronter le réel, de confronter les mondes. Ils apportent de l’intelligence et de la sensibilité dans cette imagination créatrice qui nous permet de vivre au milieu d’une humanité qui ne nous fait pas toujours rire et rêver. Mais Olivier Py fait le choix, parfois brutal, d’employer un autre vocabulaire. Il fait ainsi poser directement à un de ses personnages « Qu’est-ce que l’éthique ? Qu’est-ce que la morale ? ». Même si l’on est dans le registre théâtral, il est difficile de poser une question philosophique est d’attendre une réponse politique. Et vice-versa. Le spectateur se doit alors d’accompagner le jeu des acteurs pour opérer une nécessaire distanciation que le texte ne propose pas. La trilogie va maintenant tourner de Bruxelles à Lisbonne. Le public dira.

 

 

Pur Présent écrit et mis en scène par Olivier Py. Création au festival d’Avignon 2018. Avec Dali Benssalah, Nâzim Boudjenah et Joseph Fourez. Au piano Guilhem Fabre. La Scierie du 7 au 22 juillet.

Tournée 2019 : 23 au 26 janvier au Théâtre de Wallonie-Bruxelles, 28 février au 1er mars Nice, 14 mars Perpignan, 14 et 15 septembre Lisbonne.

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