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Après une édition remarquée, le Printemps des Comédiens « s’en va » avec Warlinovski

par Jacques Moulins
Le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski présente On s'en va
Le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski présente On s'en va" au Printemps des Comédiens © Bartek-Warzecha
Arts vivants Théâtre Publié le 30/06/2018
Le théâtre polonais aura ouvert le Printemps des Comédiens avec une pièce de Krystian Lupa. Il clôt le festival avec une pièce de Krzystof Warlikovski. Entre les deux, toute notre époque, pas forcément glorieuse, qui n'est pas étrangère à "On s'en va", fabuleuse machine théâtrale pour dix-neuf actrices et acteurs.

S’il est un théâtre qui compte en Europe, c’est le théâtre polonais. Le Printemps des Comédiens de Montpellier le sait bien qui s’est ouvert cette année avec Le Procès, mis en scène par Krystian Lupa, et se clôt avec On s’en va mis en scène par Krzystof Warlikovski. Entre le premier, maître incontesté du théâtre européen, et le second, son cadet et disciple, il y a plus qu’une complicité. Esthétique d’abord dans la conception du théâtre, l’importance d’un texte renouvelé pour les temps présents qui ne le cède en rien à la facilité et aux bons sentiments. Quant au métier également, dans la rigueur de la mise en scène, de la direction d’acteurs et de la scénographie. Quiconque a vu une pièce de ces deux hommes, est étourdi par la qualité des acteurs, leur professionnalisme et cette capacité à être là, présents, sur le moindre détail du jeu qu’amplifie, chez Warlikovski, le travail sur la vidéo. Mais encore complicité politique, ce mot pris au sens large, dans une Pologne tentée par le nationalisme et l’europhobie, malgré les subventions encaissées et la prédominance de l’église catholique qui, sitôt qu’elle a quelque pouvoir, semble ne pouvoir s’empêcher d’imposer son éthique à toute une population.

 

Complicité. C’est dans ce cadre que Krystian Lupa, du haut de ses 74 ans, a dit non au gouvernement polonais qui voulait lui imposer un directeur plus tenté par la téléréalité que par les grands auteurs du XXe siècle qu’affectionne Lupa : Kafka, Gombrowicz, Boulgakov, Musil, Broch et autres Thomas Bernhard. Il a dit non, soutenu par la grève des comédiens, et a quitté le théâtre Polski de Wroclaw où il devait présenté sa dernière création, Le Procès d’après le roman de Kafka. Krzystof Warlikovski a immédiatement soutenu celui dont il fut l’assistant, accueillant en son Nowy Teatr qu’il a fondé avec une obstination remarquable à Varsovie les répétitions du Procès dont la première a été donnée en novembre dernier.

Complicité assurée, filiation certaine, mais bien sûr deux identités, qui font de l’un et l’autre deux personnalités incontournables du théâtre européen.

 

On s’en va. Krzystof Warlikovski a le même goût que son aîné pour la littérature d’Europe centrale. Il a commencé sa carrière par la mise en scène de pièces adaptées de Kleist, Canetti, Kafka, Klaus Mann ou Gombrowicz. Puis ses choix, après un tournant de siècle consacré aux classiques, l’ont amené vers des auteurs plus contemporains, le romancier japonais Mishima, le dramaturge américain Tony Kushner, le français Bernard-Marie Koltès. Il s’est fait connaître du public français il y a treize ans, au Festival d’Avignon où il mettait en scène Kroum d’Hanock Levin. L’auteur et acteur, décédé à l’âge de 55 ans en 1999, est réputé pour son pessimisme à l’égard de l’humanité. Un pessimisme qui sied à Warlikovski dont la dernière création est l'adaptation d'une autre œuvre de l’auteur israélien, On s’en va. Le nom indique assez le contenu de la pièce où dix-neuf personnages, tous présents sur la scène du théâtre Jean-Claude Carrière, rêvent une vie qu’ils ne vivront jamais. La plupart ne songent qu’à quitter une société israélienne pesante (mais l’extrapolation se fait naturellement) et répètent inlassablement leur intention jusqu'à la veille de leur mort.

 

Une machine précise. Pour mettre en scène cette pièce redoutable, dont le sous-titre est « comédie en huit enterrements », Krzystof Warlikovski a mis en place une machine esthétique d’une infinie précision. Côté jardin, des fauteuils où se prélassent quelques acteurs, côté cour une salle de bain, transformable en toilettes publiques pour ladies et gentlemen, précédée de tables et de chaises. En fond de scène une suite de baies vitrées avec portes, derrière lesquelles se déroulent les incinérations de cercueils. Elles sont surmontées d’un écran où sont projetées les vidéos. Au centre, des sièges qui varient selon les scènes. Il faut un tel dispositif scénique pour faire fonctionner une pièce avec autant d’acteurs et de récits divers. Il concourt à l’atmosphère lourde, parfois semblable à celle d’un salon de pension de familles des années 60, avec ses discussions sur les enfants de l’un, la femme envolée de l’autre, la sexualité sous-entendue, puis pratiquée furtivement ou professionnellement. Il en ressort une humanité pathétique, les pieds plombés par ses habitudes, son passé, sa place sociale, ses rêves si répétées qu’ils donnent envie de les vomir. Le résultat est magique, on rit, on s’irrite, on se moque, on peste d’impuissance devant tant de personnages désabusés. Si tristement humains.

 

Une époque trouble. Ce théâtre répond inévitablement à nos angoisses. Alors que l'Europe bruit de clameurs et de lâchetés anciennes (Lupa en a fait une pièce en reprenant Place des Héros de Thomas Bernhard sur l'adhésion niée d'un grand nombre d'Autrichiens à la cause nazie), l'apathie, la résignation, la vie rêvée sans y croire, la fuite d'On s'en va sans même y parvenir paralysent les réactions. Hanock Levin, né en Palestine sous mandat britannique, a passé sa vie, et ses cinquante-deux pièces, à dénoncer l'apathie et la schizophrénie d'une population si souvent trompée par ses leaders politiques. Des mesquineries, des arrangements, des fuites en rêves inutiles qui guettent inlassablement la condition humaine sitôt qu'elle est séduite par la facilité, exhortée de se replier sur une identité nationale ou communautaire inventée, gagnée par de petits conforts en échange du silence. En quelque sorte, comme le pressentait le Brecht d'Arturo Ui, prête à céder à la protection mafieuse qui assassine au nom de notre sécurité. La programmation heureuse du Printemps des Comédiens, assurée par son directeur Jean Varela, nous offre heureusement l'inventivité et la création européenne.

 

On s'en va, pièce d’Hanock Levin mise en scène par Krzystof Warlikovski. Première en France au Printemps des Comédiens de Montpellier. 29 et 30 juin 2018 au Domaine d'O, théâtre Jean-Claude Carrière. 8 au 10 juillet à Athènes. En 2019 : 2é au 24 février à Liège, 6 et 7 mars à Clermont-Ferrand, 14 et 15 mars à Annecy, 11 et 12 octobre à Mulhouse, 13 au 16 novembre au Théâtre de Chaillot à Paris.

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